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Note d'intention

Rédigé par Mélanie Mesager

Note d'intention


Le dispositif Ernesto processus est une interrogation sur la
composition chorégraphique dans son rapport avec la
mémoire : il naît du postulat qu'elle peut se situer à un endroit
qui n'est ni celui de l'improvisation, ni celui du fruit de
'répétitions', mais celui d'une mémoire qui se transmet par
bribes. C'est une façon d'intégrer dans la chorégraphie les
interstices de cette mémoire, les oublis, les transformations
qu'elle opère sur la matière gestuelle et textuelle.
Il s'agit aussi de déplacer l'endroit de la chorégraphie, qui est
considérée comme l'ensemble du processus, traces,
temporalité, mémoire.
En s'inscrivant dans des lieux et des fréquences variés, Ernesto
processus crée un espace temporel et spatial traversé par des
personnes, qui existe dans la mémoire des processeurs, et qui
est rendu visible par le blog. A cette temporalité linéaire se
superpose la temporalité rhizomatique de la mémoire qui
rayonne et relie entre eux des instants distincts sur la ligne
chronologique. Cette dimension est rendue sensible par les
commentaires des processeurs sur le blog et par l'archivage des
traces et les mentions de leur utilisation. Tempo linéaire du
processus, cartographie spatiale et mémoire rhizomatique
pourront faire l'objet d'une schématisation synthétique ; mais
c'est avant tout dans ce devenir qui reste en partie insaisissable
que sa déploie la chorégraphie, au rythme des séances qui
accumulent un savoir faire et des traces.
Ainsi, les temps de présentation sont à la fois des synthèses et
des moments du processus, mais ne sont en aucun cas une
finalité : il s'agit d'évacuer tout à fait l'idée de la représentation
comme but vers lequel tendraient les différentes étapes d'une
préparation. La chorégraphie est le processus, le processus est
la chorégraphie, substituant à l'espace scénique et à la
temporalité du spectacle l'espace d'une ou plusieurs villes et le
temps du déploiement du projet.
Par rapport à une histoire collective de la danse, Ernesto
processus se situe comme une métonymie : en posant qu'une
chorégraphie peut s'engendrer de cette façon de ses propres
traces, nous soutenons que la danse se construit de cette façon,
au fil des influences sous-jacentes et des reprises assumées
comme telles. L'idée de la circulation des mouvements, qui se
joue dans la mémoire corporelle que les processeurs auront

d'une séance sur l'autre, mais qui se joue également dans la

conscience des mouvements et états de corps qu'on importe de
l'extérieur, est celle d'une danse qui est toujours habitée d'une
autre danse1. Dans un même temps, il s'agit de défendre une
mémoire qui ne se croirait pas la reproduction du même mais
assumerait une part d'oubli ; mieux, les érigerait en principe
créateur au même titre que ses souvenirs positifs.
Le champ de la littéradanse, enfin, est une esthétique
contemporaine crée par la rencontre entre un texte littéraire et
des mouvements dansés. A la différence du physical theater et
du théâtre dansé, le texte n'émane pas d'une situation scénique
induite par le geste, et le geste n'est pas directement motivé
par le texte. Les danseurs n’interprètent pas le rôle du
personnage qui parle, quand bien même ils prononceraient des
paroles en dansant. Le « je » présent dans le texte n'est pas
celui du danseur, ni celui d'un personnage incarné par les
danseurs. Le présent du texte n'est pas nécessairement celui de
la danse. Les relations entre texte et danse se jouent au niveau
du rythme, de la sémantisation partielle du geste, des flux
d'énergie qui traversent parole et geste. Cette esthétique est
propre aux XXeme et XXIeme siècles et son l'histoire se
construit à travers des pièces telles que Meublé sommairement
de Dominique Bagouet, Une fille qui danse et un son étrange
de Daniel Dobbels, et des événements tels que le festival
Concordan(s)e de Jean-François Munnier. Les créations
précédentes de la compagnie Gé, Jérôme, Par l'intermédiaire de
la bouche de ces danseurs, L'écriture d'Artaud, Je crois que je
pourrais m'habituer à être une (femme), étaient des pièces de
littéradanse et des expériences sur les endroits de rencontre
entre danse et littérature. C'est donc dans cette esthétique et
cette lignée que souhaite s'inscrire Ernesto processus, même si
sa forme de composition et de rencontre avec le public
tendront à en faire nécessairement, et dans une mesure qu'il
est difficile de prévoir à ce stade, bouger les limites. Si le texte
de Marc Perrin est à l'origine du projet et sera sans doute
insufflé tout au long de la composition, nous ne pouvons pas
prévoir comment il ressortira des étapes d'oublis, de
remémoration et d'hybridation qu'il traversera, et il s’avérera
peut-être plus pertinent, au fil du temps, de parler à propos du
texte qui sera prononcé de création littéraire à part entière
plutôt que de se revendiquer d'un texte source.

Ernesto, la figure source, les
origines
:


L'envie de chorégraphier le texte de Marc Perrin, Spinoza in
China, est à l'origine de ce projet.
Ce livre est composé d'une série d'énumérations d'actions et de
mouvements intérieurs d'un personnage, Ernesto, lors de son
voyage en Chine. Le procédé d'écriture, qui énumère le temps
sur des fréquences parfois très courtes (minutes pas minutes),
offre comme une série de chrono-photographies d'une pensée
qui se déroule, non sans humour, sous les yeux du lecteur.
Ce texte s'est imposé à moi en m'apparaissant à plusieurs
égards chorégraphique, et sa mise en danse m'a hantée
pendant l'été 2015. Outre le traitement du temps, la
modification des états d'âme du personnage s'exprime par la
répétition d'une même phrase dont seul un mot peut varier,
imprimant au texte un rythme spécifique, qui m'a semblé
pouvoir agir comme une partition dans laquelle les procédés
sémantiques, métriques, répétitifs, motiveraient des énergies
corporelles précises.
Une fois la partition écrite, il ne me restait plus qu'à
l'apprendre, laborieusement puisqu'elle demande une grande
précision, à des danseurs. Or cela s'opposait à beaucoup de ce
que je cherche dans une création chorégraphique : les
mouvement aberrants plutôt que virtuoses, la part laissée à
l'inattendu et à la recherche. En fait, Ernesto m'ennuyait, et je
me suis rendue compte que j'avais déjà vécu la création en
écrivant cette chorégraphie. Il ne me restait plus rien à
découvrir, juste quelque chose à produire, ce qui ne
m'intéressait plus du tout. Il était vital d'inventer autre chose.
Ernesto fit son chemin, se demandant s'il était possible, à partir
de cette génération d'énoncés, d'imaginer un principe de
composition original qui ne serait pas le simple
accomplissement d'une partition mais qui garderait le
dynamisme d'une création perpétuelle. Ou mieux, dont le
processus ne serait pas le moyen de composition, mais le
propos lui même.
Après diverses traversées, dont celui des deux matinées de
l'école doctorale du centre national de la danse consacrées aux
« archives vivantes », s'imposa Ernesto processus

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